CARNET DE VOYAGE (2/5)
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QUATRIEME JOUR (08/02/2006)
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La
nécropole Kerma est une vaste étendue de terre parsemée de tombes
circulaires recouvertes de galets blancs sur le dessus et de pierres noires
sur le pourtour. La nécropole contient plus de 30.000 tombes dont seulement
quelques milliers ont été fouillées. En commençant par les tombes pré-Kerma
et Kerma ancien et en finissant par les tombes Kerma classique, nous
effectuons un voyage temporel dans la nécropole. Cette progression se voit
au niveau des multiples tessons de poteries que nous trouvons près des
tombes. |
Arrivés
dans la partie classique de la nécropole, nous visitons la deffufa orientale
(vaste temple de briques crues). Notre guide nous fait remarquer la trace
d’une voûte romane en plein cintre dans ce bâtiment africain datant de 2500
avant JC alors que ce type de voûte ne sera utilisé en Europe qu’au début
du Moyen-âge. Autour de la deffufa se trouvent les grands tumulus royaux
avec leur autel en pierre blanche. Nous trouvons également quelques
fragments de cette poterie très fine avec une bande métallescente typique de
l’ère Kerma classique. Cette technique n’a pas pu être reproduite de nos
jours. |
Après
un court trajet en voiture au travers de la zone irriguée, nous arrivons à
l’ancienne ville de Kerma. La deffufa occidentale se dresse, majestueuse, au
milieu de ruines de la ville koushite dont il ne reste que la base des murs.
La deffufa est très différente des temples égyptiens : c’est un bâtiment
d’un seul tenant avec un important pylône sur le devant. Cette forme sera
reprise à l’époque méroïtique pour les temples du dieu Apedemak. Nous
montons sur le somment de la deffufa pour avoir une vue d’ensemble du plan
de la ville qui fut rasée vers 1500 avant JC par les Égyptiens. Le vent de
sable se lève vers midi ; nous pouvons déjeuner à l’intérieur du musée de
Kerma en construction. |
A
quelques centaines de mètres se dresse la ville égyptienne de
Pnoubs (le
jujubier en égyptien ancien). En soudanais, le site s’appelle Dukki Gel (la
colline rouge) : ce nom est dû aux centaines de milliers de moules à pain en
terre cuite entassés tout au long de l’antiquité. Le temple d’Amon de Pnoubs
est un de trois temples de couronnement méroïtique. Nous voyons les restes
des différentes périodes d’occupation de la ville égyptienne, napatéenne
puis méroïtique. A côté du temple d’Amon, se trouve la cachette des statues
des « pharaons noirs » retrouvées par l’archéologue Charles Bonnet. Ces
statues brisées par les armées de Psammétique II ont été ensevelies par les
prêtres de Pnoubs. Claude Rilly nous montre également, le plus vieux
graffito méroïtique connu. |
Nous
prenons la direction de Tombos. Au niveau de la troisième cataracte se
trouvent de nombreuses stèles-frontières gravées par les Égyptiens du Nouvel
Empire pour clamer leur domination sur cette région. D’immenses rochers sont
recouverts de hiéroglyphes à la gloire des pharaons égyptiens. A côté des
stèles se trouve une carrière de granit où nous pouvons admirer une très
belle statue inachevée d’un pharaon noir : peut-être est-ce Taharqa ? Nous
continuons notre voyage vers le Nord jusqu’au lit asséché d’un oued. Malgré
le vent qui se lève, quelques-uns d’entre nous tentent la nuit à la belle
étoile… |
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CINQUIEME JOUR (09/02/2006)
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Ce
matin, notre guide explique que le lieu du bivouac a été choisi
intentionnellement. Le Wadi Sabo est bordé par deux parois rocheuses
couvertes de fresques rupestres. En escaladant les rochers, nous pouvons
voir d’importants groupes de fresques essentiellement animales. Les rochers
sont couverts de gravures de troupeaux de bovins, mais nous trouvons aussi
des fresques de singes, d’éléphants, d’autruches ou de girafes. Il y a
quelques personnages humains : Claude Rilly évoque l’existence de fresques
grivoises que certaines personnes du groupe ont vainement cherchées. |
Après
une demi-heure de temps libre dans l’oued, nous nous dirigeons à l’opposé du
camp. Sur le haut de la paroi rocheuse a été gravé un groupe de bateaux. Le
style de ceux-ci est prédynastique : cette fresque est le souvenir laissé
par une expédition égyptienne antérieure à la construction des pyramides de
Gizeh. A quelques mètres de celle-ci, se trouve une autre fresque de bateau
transportant un cheval qui date de l’époque koushite. Après cette visite
matinale, nous plions tentes et bagages et nous reprenons la route. |
Nous
faisons un arrêt au niveau de la troisième cataracte du Nil. Après une route
assez tortueuse, nous arrivons sur un promontoire qui surplombe la vallée du
Nil. A cet endroit, on aperçoit les vestiges assez bien conservés d’une
forteresse datant de l’époque chrétienne : elle ne se visite pas car elle
menace de s’écrouler. Elle a été construite à l’emplacement d’une forteresse
égyptienne. Le cours du Nil est barré par de nombreux bancs de sable et
rochers. Cela forme de nombreux rapides qui bloquent toute navigation. |
Nous
faisons un arrêt dans la ville de
Delgo. Pendant que les chauffeurs
font le plein d’essence des véhicules, nous nous baladons dans la rue
principale de la ville. C’est jour de marché : on trouve plusieurs vendeurs
de fruits et légumes. Un stand attire l’attention du groupe : des centaines
de poussins sont parqués entre des cartons au soleil, mais le vendeur les
rafraichit très souvent avec de l’eau. A l’autre bout de la rue, un forgeron
ambulant a installé sa forge de fortune : une roue de vélo qui entraîne un
ventilateur pour attiser un foyer à même le sol. Il répare et fabrique des
outils agricoles avec une grande précision. |
Le cuisinier ayant fini de faire le ravitaillement, nous reprenons la route
vers le Nord. Nous nous arrêtons pour déjeuner à
Wawa : c’est un village
nubien typique avec de belles maisons peintes. Sur la place du village se
trouve un bâtiment blanc et ocre jaune où quelques hommes sont assis pour
parler et fumer. Les habitants nous font un bon accueil : ils viennent
parler avec nous, comme toujours les enfants sont les plus curieux. Le
déjeuner terminé, nous prenons la direction de l’île de Saï, où nous devons
dormir ce soir. |
En
fin d’après-midi, nous arrivons en face de l’île de Saï : le bac est amarré
sur la berge en face. Après une heure d’attente, le bac arrive. Comme le
précédent à Dongola, c’est un navire de fabrication française datant des
années 1890. Nous arrivons à la maison des fouilles de l’université de Lille
qui est inoccupée actuellement. Nous pouvons planter nos tentes dans la cour
à l’abri du vent. En me couchant, je pense que si j’avais continué mes
études d’histoire à Lille je serais peut-être archéologue en poste au
Soudan… |
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SIXIEME JOUR (10/02/2006)
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Depuis
le bivouac, nous avons une belle vue sur le Djebel Abri et sur une île
connue pour abriter les derniers crocodiles de Nubie (les seuls crocodiles
que j’ai vus sont les deux squelettes sur la porte de la maison des
fouilles). Nous commençons la journée par une visite des vestiges de la
ville égyptienne : les Ottomans ont construit à cet endroit une forteresse
et ils ont réemployé de nombreux blocs de pierre sculptés du temple égyptien
pour renforcer les murs de brique crue. |
Nous
reprenons les véhicules à la sortie de la forteresse et nous prenons la
direction de la nécropole Kerma. Les tumuli sont très bien conservés par
rapport à Kerma. La ceinture de pierres plates noires est encore intacte sur
la plupart de ceux-ci. Par contre, les tessons de céramiques trouvés sur le
site semblent un peu moins beaux qu’à Kerma. Sur le chemin du retour, nous
nous arrêtons près d’un énorme tronc d’arbre pétrifié. |
La
visite de l’île continue avec le site de la cathédrale. Seules quelques
colonnes restent encore debout. En cherchant quelques tessons de poterie, le
groupe fait une découverte archéologique : nous sortons de terre un bloc de
pierre sculpté de hiéroglyphes égyptiens. Notre guide précise que la
réutilisation de pierres égyptiennes pour la construction de la
cathédrale
de Saï n’était pas connue jusqu’à ce jour. Une autre personne trouve
également un tesson avec des inscriptions méroïtiques : c’est un fragment
d’amphore de vin. |
Nous
quittons l’île de Saï et nous prenons la direction du Sud. Vers midi, nous
nous arrêtons pour déjeuner sur la place du village de
Koya : les villageois
nous réservent un accueil enthousiaste et nous invitent à visiter la gubbah
locale : un vaste tombeau musulman datant du XIXème siècle. Après s’être
déchaussé, nous nous trouvons sous une voute qui s’élève à une dizaine de
mètres. Nous reprenons la route pour nous arrêter au village de
Wawa, où un
passeur nous attend pour nous faire traverser le Nil en barque. |
Sur
l’autre rive, se trouve le temple de Soleb : c’est le plus grand temple
égyptien de Nubie. Il a été construit pour le jubilé d’Aménophis III. On y
voit le pharaon vénéré comme l’égal des dieux plusieurs siècles avant Ramsès
II dans le temple d’Abou Simbel. Le temple a été usurpé ensuite par
Akhenaton : l’un des cartouches portant le nom du pharaon monothéiste a été
oublié par la censure qui a rétabli le culte traditionnel. La deuxième salle
est unique pour un temple égyptien : c’est une salle des prisonniers où les
colonnes sont décorées de tous les peuples connus des anciens Egyptiens.
Ceux-ci sont représentés entravés et emprisonnés. |
Le
soir, nous bivouaquons dans la vaste maison nubienne d’un cousin de notre
passeur. Nous apprécions tous de retrouver un toit et le confort d’une
maison. Avant le repas, je profite du temps libre pour me promener dans le
village : les maisons nubiennes traditionnelles ont des couleurs superbes
sous la lumière du soleil couchant. Trois femmes sortent d’une maison et
entament une discussion en anglais avec moi : il s’agit de l’institutrice du
village et de deux amies. Elles sont très curieuses de connaître notre
itinéraire et mes motivations pour venir au Soudan. Après une petite heure
de promenade et de discussions, je retrouve le groupe pour le dîner. |
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